Ce fût un des moments triomphaux de notre voyage

nous avions apporté avec nous la vague magique,

elle purifiait tout.

Les indigènes rendaient hommage à genoux à la beauté.

Le maître du château produisit un poème.

Pressées contre les murs du château,

les bêtes de la forêt dressaient l'oreille,

et dans la rivière les poissons étincelants

passaient en cortège solennels,

nous les régalions de gâteaux et de vin...

Dans le donjon de Bremgarten,

le parfum des lilas envahissait ma chambre,

j'entendais à travers les arbres le bruissement de la rivière.

Par la fenêtre, ivre de joie et de désir,

j'accédais au coeur de la nuit.

Je me glissais dans l'escalier et descendis jusqu'à la rive...

Léo jouait avec deux caniches blancs,

son visage d'enfant rayonnait de joie.

Je trouvais Longus assis dans les bois,

avec sur ses genoux un livre en parchemin.

Et, à l'écart, sous les arbres qu'éclairait la lune,

Anselme errait, un iris à la main,

et contemplait en souriant le coeur violet de la fleur. 

Herman HESSE